Aujourd’hui, c’est la fête mondiale des jardins : partout, des particuliers vous invitent à venir voir de quelle façon ils ont embelli leur lopin de terre. Si vous êtes libres, je vous fais visiter le mien. Je l’ai baptisé « La Vie en Terre ». Venez, c’est par ici…
Alors… poussons le petit portillon de bois et entrons… dans mon jardin de mots. Non, non, pas mon jardin de maux, je ne voudrais pas vous infliger pareille épreuve ! Mon jardin de mots s’organise en plusieurs zones, allant des mots doux, aux gros mots, en passant par les mots valises, mais… je ne vais pas tout vous dévoiler maintenant…
Sur votre droite se trouve le carré des mots bleus : indigo, azur, Majorelle, pastel, aigue-marine, lapis-lazulis et mers du sud forment un riche camaïeu. Prenez le temps de vous imprégner de leur couleur, ils vous épargneront d’avoir du bleu à l’âme.
Vous avez juste en face, l’enclos des mots parfumés : aromatique, capiteux, ambré, épicé, vaporeux, éthéré, nuancé, hespéridé et lonicera fragantissima s’amusent sans cesse avec nos sens, on ne sait plus trop où l’on se trouve…
En vous retournant très doucement, vous allez apercevoir la parcelle des mots rares.
Attention, ils sont très craintifs ! Un geste vif et pfouit… ils s’évaporent : nitescence, caligineux, crispifolié, thébaïde, cascatelle et pétrichor s’ébaudissent devant notre perplexité.
N’hésitez pas à en apprivoiser quelques-uns, ils sont source de belles découvertes !
Maintenant je vous conseille de sortir vos gants car nous approchons des mots piquants : aiguillon, bogue de châtaigne, acrimonieux, acéré, cactus, épointé, vénéneux, et ronce s’égratignent à longueur de journée ! Aïe ! Ne nous attardons pas, et poursuivons la visite…
Ah ! Mon carré préféré, celui des mots valises : anémonitrice, rutabagalipette, lilassitude, giroflégmatique, papillondulant, marguerituel, brebicyclette et forsysiamois. Toujours prêts à partir en voyage, ceux-là !
Bon, je retourne à ma grelinette et vous laisse découvrir les autres parcelles. Pas de sens de visite, non, allez où vos pas vous mènent, laissez-vous porter par vos sens… Lorsque j’aurai bien aéré la terre, j’irai prendre soin de mes graines de mots. Et oui, je dois les chouchouter pour qu’elles s’épanouissent ! Comme nous, elles attrapent parfois des maladies, supportent plus ou moins bien les attaques de zeuzères ; elles subissent des déformations qui les enlaidissent et peuvent même leur faire perdre leur sens, alors je veille. Je traque le fameux parasite fautus ortograficus et je vous prie de croire qu’il n’est pas aisé à éradiquer celui-là !
Vicieux, il guette le moindre relâchement de vigilance pour venir s’implanter sur un joli mot tout-bien-comme-il-faut. Dès que je perçois le bout de son nez, je sors ma panoplie et j’asperge mon jardin à grands coups de relecture, tout y passe, les pluriels, les conjugaisons, les accords de participe passé, les doublements de consonnes… Et bien voyez-vous, malgré mon extrême attention, il m’arrive, assez souvent tout de même, après maints ratissages, de trouver une larve tapie dans un coin, prête à grandir, à se reproduire, et là…
Mes engrais ? Rien que du naturel : de la vitamine P (Poésie) en pulvérisation tous les matins, une décoction de lettres classiques en bassinages réguliers, et surtout, surtout, une bonne dose d’amour trois fois par jour.
Pendant l’hiver, je recouvre le sol d’un bon gros paillage de romans, en couche bien épaisse afin que le sol se régénère. En janvier, j’amende avec un compost maison fait d’un mélange d’albums jeunesse, documentaires, quelques Bandes Dessinées, deux trois polars et un soupçon de science- fiction. Voilà, c’est tout ! Simple, non ?
Lorsqu’arrive février et que les oiseaux nous gratifient de leurs premières mélodies, je laisse mes amis les mots au repos, pour reprendre mes observations de cette terre de vie. Sans me prendre le chou, je m’occupe de mes oignons, j’asticote doucement le paillis protecteur, prépare quelques semis que je place en pouponnière, comme de vrais prématurés. Dès que le soleil pointe le bout d’un rayon, j’installe un gros coussin de chanvre sur le fauteuil en osier et m’y installe quelques instants. Je capte l’énergie solaire, tout en veillant sur mes « bébés » encore fragiles.
J’entends bien, parfois, certains se demander si je n’ai pas une araignée dans la coloquinte, mais voyez-vous, tout en faisant mine de rien, je regagne alors ma roulotte à petits pas tranquilles, afin de leur préparer une infusion aux 40 plantes. Car les remèdes des simples, il n’y a rien de mieux pour ouvrir les esprits, arroser le futur d’espoir et semer les graines de la transition.
Mais je le sens, vous allez me demander quel rapport y-a-t-il entre le jardinage et l’écriture…Pas vrai ? Bon, je vous donne mon point de vue :
Le jardinier s’émerveille sans cesse de la perfection de la nature. Il cherche sans relâche à trouver les conditions optimales qui vont permettre de faire croître la plus belle plante ou le plus bel arbre possible. L’écrivain, lui, s’émerveille de la justesse des mots qu’il manie avec brio en vue d’un mariage des plus parfaits.
Les deux ont un côté obsessionnel, c’est à dire… qu’ils vont utiliser la moindre parcelle de leur temps libre pour s’adonner à leur activité préférée.
L’un et l’autre sont assez contagieux, avez-vous remarqué ? À leur contact, l’envie nous prend vite d’attraper binette ou bien stylo !
Jardiniers et écrivains sont des poètes qui nous ensorcellent de leurs ritournelles.
Et puis n’oublions pas, ils ont en commun une sacrée bande d’amis : les vers !
Voilà, j’espère que la visite vous aura plu… Je ne vais pas vous laisser partir les mains vides, voici pour vous, un petit bouquet de Haïkus :
Pluie de confettis |
La grive picore |
Les nuages pissent |
Tous les soirs de juin, |
Raisin de printemps |
Mésange gourmande |
Sous les feuilles vertes |
Drapées de noir et blanc |
Dès potron-minet |
Merle impatient |
Catherine Le Roy de Cernay la Ville (78)