Travail du sol : ce qui se passe dans la nature

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Une simple promenade en campagne nous révèle que les plantes s’installent facilement à côté des terres cultivées, qu’il s’agisse d’une discrète espèce herbacée ou d’un imposant arbre centenaire. Comment peuvent se développer toutes ces plantes sans travail du sol ? Celui-ci devant être suffisamment aéré pour que les êtres vivants aient de l’oxygène à leur disposition. Alors, qui aère le sol dans la nature ?

Une motte de terre bien aérée grâce aux galeries de vers.
J.-J. Raynal
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Cet article est extrait du livre Préparer la terre au potager de Blaise Leclerc.

 

Comment se développent les plantes sans travail du sol ?

Comment se fait-il que l’agriculteur ou le jardinier doivent déployer autant d’énergie pour préparer leur sol à recevoir des cultures alors qu’on peut observer dans la nature de magnifiques prairies et forêts qui ne nécessitent aucune intervention humaine ? C’est un fait : les plantes sauvages s’installent et se développent toutes seules, même dans des conditions extrêmes. Seul le climat semble limiter les couverts végétaux, comme dans les déserts trop secs (Sahara) ou trop froids (zones polaires, hautes montagnes).

 

Une exploration minutieuse

Ce qu’on ignore quand on observe de magnifiques forêts ou prairies, car on ne peut le voir, c’est qu’environ le tiers de la biomasse végétale se trouve dans le sol. Cette importante biomasse cachée s’explique par la relative pauvreté du sol en éléments minéraux nécessaires à la croissance végétale. Ces éléments sont certes présents dans le sol (sinon les plantes ne s’y installeraient pas !) mais en concentration généralement très faible.

C’est ce qui explique que les apports d’engrais augmentent souvent si facilement la production. Sans de tels apports, la plante doit se débrouiller seule, en investissant le plus possible dans l’exploration du sol grâce à ses racines. Une grande quantité de racines signifie de nombreuses portes d’entrée pour les éléments minéraux qui sont très dilués dans le sol. Les racines les plus fines sont les plus efficaces car elles peuvent explorer un plus grand volume de sol. N’oublions pas que la quête des éléments minéraux dans le sol est aussi le fait des mycorhizes* chez la majorité des plantes, d’autant plus dans les terrains non perturbés par les humains puisque les filaments mycorhiziens n’y sont pas détruits par le labour ou le bêchage.

*mycorhizes : champignons du sol qui développent une symbiose avec la plupart des végétaux, améliorant la nutrition de ces derniers (phosphore, eau, etc.) en échange d’énergie fournie par la photosynthèse.

 

Une question de temps

Le temps d’installation d’une couverture végétale spontanée est beaucoup plus long que celui d’une culture mise en place par l’agriculteur ou le jardinier. Nous ne nous en rendons pas compte car la végétation que nous voyons lors de nos promenades est là depuis des années, voire des siècles lorsqu’il s’agit d’un vieil arbre. Au potager, mis à part les plantes pérennes, nous ne pouvons généralement pas attendre que tel ou tel légume s’installe tout seul sur un sol non préparé car dans la plupart des cas, sous nos climats, il n’aura tout simplement pas le temps de se développer avant l’hiver suivant.

 

Une litière accueillante

La litière est la couche de feuilles et autres débris végétaux qui s’amassent à la surface du sol. Elle est peu à peu dégradée par les êtres vivants du sol pour former l’humus. Dans cette litière, notamment en forêt où s’accumulent plusieurs centimètres de feuilles mortes, toutes les conditions sont réunies pour la germination des graines : une bonne aération et une humidité suffisante, ainsi que des éléments minéraux à portée des racines dès que ces dernières commencent à se développer.

 

Les plantes pionnières

Les plantes pionnières, comme leur nom l’indique, sont les premières à coloniser un sol pauvre encore dépourvu de végétation. Ce sont pour la plupart des plantes à rosette, comme le pissenlit, dont les feuilles s’étalent au sol en arc de cercle. Elles possèdent une longue racine pivotante qui fissure le sol en profondeur, le rendant ainsi plus accueillant pour les végétaux qui occuperont le terrain à leur suite.

 

Qui travaille le sol dans la nature ?

« Travailler » n’est pas vraiment le terme approprié pour décrire ce qui se passe dans la nature. Nous l’employons en référence à la pratique de l’agriculteur ou du jardinier. Concernant les êtres vivants du sol et les racines, utilisons plutôt le verbe « aérer », car c’est indirectement ce à quoi ils contribuent par leur activité.

 

Macroporosité et microporosité

La macroporosité correspond aux pores du sol les plus gros, dans lesquels l’eau s’écoule facilement après une pluie ou un arrosage, et qui permettent ensuite à l’air de circuler. La microporosité correspond aux pores les plus petits, dans lesquels une grande partie de l’eau du sol est stockée.

Les vers de terre sont majoritairement responsables de la macroporosité, les bactéries et les champignons de la microporosité. D’autres êtres vivants contribuent également à créer de la porosité, à toutes les échelles : insectes, nématodes, protozoaires, etc., en étroite relation avec les vers de terre et les micro-organismes.


Microporosité et macroporosité du sol, avec deux galeries caractéristiques de la présence des vers anéciques.
J.-J. Raynal |

 

Les vers de terre fabriquent la macroporosité

Ce sont essentiellement les vers anéciques qui créent la macroporosité en creusant des galeries verticales pour aller s’alimenter en surface ou y déféquer, évitant ainsi leur obstruction. Ces galeries, une fois abandonnées, sont de véritables cheminées d’aération du sol, favorisant l’entrée de l’oxygène et l’évacuation du gaz carbonique. Après un épisode pluvieux, elles facilitent également le drainage, en permettant à l’eau de s’écouler en profondeur. Très rapidement, l’eau est ainsi remplacée par de l’air dans les pores les plus gros. Cerise sur le gâteau, une racine qui emprunte une galerie de ver de terre abandonnée voit son développement décupler car elle ne rencontre aucune contrainte mécanique, bénéficie d’oxygène à volonté et d’une terre enrichie par les excréments et le mucus du ver tapissant les parois.

L’aération par les vers de terre est particulièrement importante dans les sols argileux, car ce sont les plus difficiles à travailler : il est impossible d’y entrer quand ils sont humides, et ils durcissent rapidement en séchant au point qu’on ne peut plus y enfoncer d’outil. En revanche, les vers y sont à l’aise, les parois de leurs galeries étant très lisses et restant bien en place, alors que dans les sols trop sableux, les éboulements rendent la construction de galeries très difficile, voire impossible. C’est pourquoi les vers de terre sont toujours plus nombreux dans les sols argileux que dans les sols sableux.


Les vers de terre anéciques sont les artisans de la macroporosité du sol.
J.-J. Raynal |

 


Les fourmis aussi aèrent le sol.
J.-J. Raynal |

 

Les bactéries et les champignons fabriquent la microporosité

La microporosité du sol est complémentaire de sa macroporosité car elle permet à l’oxygène d’atteindre les endroits les plus reculés, là où vivent les nématodes, les protozoaires, les champignons et les bactéries. Elle permet également de retenir l’eau, par capillarité, dans les pores les plus fins, car dans les pores les plus gros (ceux de la macroporosité), celle-ci n’est pas retenue et file en profondeur, au-delà de la zone explorée par les racines.

C’est en digérant les matières organiques qu’on leur apporte que les micro-organismes fabriquent la microporosité. En effet, bactéries et champignons sont si petits qu’ils doivent digérer leurs aliments à l’extérieur de leur cellule, en envoyant des enzymes dans le sol. Ces enzymes découpent les grosses molécules en de plus petites capables de pénétrer à l’intérieur de leur cellule. La digestion prenant un certain temps, les molécules en cours de dégradation, notamment les polysaccharides, s’accumulent momentanément dans le sol, où elles forment une sorte de colle naturelle. Cette colle permet l’assemblage des particules minérales les plus petites du sol (les argiles, les limons et les sables les plus fins).

En nourrissant les micro-organismes du sol (par des apports de composts, d’engrais verts, etc.), on fabrique indirectement de la colle. Les particules minérales sont alors réunies en petits grumeaux de quelques millimètres de diamètre, les agrégats, qui grâce à leurs formes arrondies permettent à l’air du sol de circuler entre eux. C’est donc aussi grâce aux bactéries et aux champignons qu’un sol peut contenir jusqu’à 50 % d’air ! De plus, à l’intérieur de chaque agrégat, l’eau du sol est stockée.

 

Les plantes aussi aèrent le sol

Lors de leur développement, les racines ont tendance à tasser légèrement la terre qui les entoure, car en s’épaississant, les petits tubes qu’elles forment exercent une pression dans toutes les directions. Mais à la mort de la plante, les anciennes racines deviennent un gigantesque réseau d’aération du sol, les cellules internes de la racine se dégradant plus rapidement que celles de sa périphérie. Vous pouvez le constater en observant les restes de racines dans le sol : il ne subsiste souvent qu’un manchon, dans lequel l’air du sol peut aisément circuler. La porosité ainsi créée est très efficace car elle permet la mise en relation directe du milieu extérieur avec les plus fines ramifications de l’ancien système racinaire.


Racine empruntant une galerie de ver de terre abandonnée.
J.-J. Raynal
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Vide à l’intérieur de racines mortes.
J.-J. Raynal
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Après la mort de la plante, le système racinaire devient un réseau d’aération !

 

 

Blaise Leclerc

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