V. Quéant |
Ces explications sont extraites du livre Le guide Terre vivante de la gemmothérapie de Dr Claudine Luu.
De quoi s’agit-il ?
La gemmothérapie est un domaine de la phytothérapie qui a rendu de grands services à l’humanité depuis la nuit des temps – bien avant que le terme n’existe. Elle consiste en l’utilisation, à des fins thérapeutiques, de bourgeons, jeunes pousses et radicelles de certains arbres et arbustes.
Ces végétaux, constitués de tissus embryonnaires en pleine croissance, sont récoltes frais et préparés sous forme de macérats hydroalcooliques glycérinés. Ils produisent des macérats plus actifs que les extraits préparés classiquement à partir de feuilles, racines et écorce, obtenus à partir de plantes adultes et le plus souvent desséchées. Les doses conseillées en gemmothérapie sont donc légères.
En stimulant directement les glandes corticosurrénales, le bourgeon frais de cassis se révèle, par exemple, un excellent anti-inflammatoire. Le figuier, quant à lui, qui n’est pas valorisé en phytothérapie traditionnelle, montre en gemmothérapie une action élective sur l’axe cortico-diencéphalique dont il régularise le fonctionnement ; il est donc un anxiolytique remarquable.
Un peu d’histoire
L’usage est de présenter une discipline en évoquant d’abord son histoire. Rappelons donc que les bourgeons ont laissé les traces d’une utilisation chez les Chinois, avant notre ère, ainsi que chez les Egyptiens. Les tablettes assyro-chaldéennes trouvées à Nippur remontent à plus de 3 000 ans et, de même que le papyrus Ebers découvert à Louxor dans des circonstances mal connues, elles sont porteuses de messages médicaux, végétaux, posant déjà les bases de la phytothérapie.
Au Moyen Age, les bourgeons de peuplier sont utilisés pour fabriquer un onguent populaire destiné à soigner les hémorroïdes. Sainte Hildegarde de Bingen mentionne des bourgeons dans plusieurs formules.
Puis, la célèbre théorie des signatures soutenue par Paracelse est venue enrichir nos connaissances en phytothérapie. Cette théorie repose sur la croyance que la forme, la couleur, l’allure des choses, principalement des végétaux, peut révéler leur usage et leur fonction. Appliquée aux plantes médicinales, elle laisse penser que certaines plantes ≪ signeraient ≫ par leur apparence l’organe dont elles soigneraient le mal. On retrouve souvent ce raisonnement en gemmothérapie.
Vers 1720, puis 1760, les propriétés du cassis sont décrites minutieusement.
Plus tard, le Dr Francois-Joseph Cazin (1788-1864), auteur du Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, observe que le bourgeon de tilleul est beaucoup plus actif que l’infusion de fleurs.
Vers 1950, le Dr Niehans utilise des cellules fraîches embryonnaires d’origine animale, d’où l’idée de prolonger l’expérience en utilisant des cellules fraîches embryonnaires d’origine végétale.
En 1970, sur ces bases, le Dr Pol Henry transpose l’idée au monde végétal et étudie alors un grand nombre de bourgeons et de jeunes pousses d’arbres et d’arbustes. Plusieurs chercheurs travaillent avec lui, notamment le biochimiste J.-C. Leunis, auteur d’un Traité théorique et pratique de phytothérapie cyclique, ouvrage un peu ardu, mais qui relie gemmothérapie, phytothérapie classique et biologie. Pol Henry parle de “phytembryothérapie”. C’est le Dr Max Tetau, un peu plus tard qui crée le terme de “gemmothérapie”, aujourd’hui définitivement adopté.
Connaître les propriétés d’une plante
Cette connaissance passe par plusieurs niveaux.
- Le premier niveau relève de la tradition. Il consiste à observer les pratiques concernant l’utilisation de telle ou telle feuille, telle ou telle racine, et à analyser les résultats obtenus.
- Le deuxième niveau passe par la connaissance scientifique et fait intervenir la notion de principes actifs. Naît alors le concept de la relation structure-activité, autrement dit l’idée selon laquelle une structure chimique (végétale, pour ce qui concerne les plantes) est corrélée à une action physiologique déterminée. Les phénols, par exemple, sont anti-infectieux.
- Un troisième niveau est basé sur la connaissance intuitive, à partir de l’ensemble des propriétés déduites de la pratique et de l’observation. Les propriétés de revitalisation, de régénération et de rajeunissement d’un bourgeon peuvent être attribuées à ce troisième niveau de connaissance.
Ce troisième niveau laisse à penser que point n’est besoin de connaître l’analyse et l’étude scientifique d’un végétal pour l’utiliser. Cela permet de ne pas rejeter une substance intéressante, même lorsque son étude scientifique n’a pas été faite, et même si l’on n’a pas de preuve scientifique de son efficacité. On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec l’homéopathie, voire avec la médecine traditionnelle chinoise, médecines pour lesquelles les expérimentations en laboratoire sont rejetées et il ne reste que les preuves d’efficacité sur le malade. Il en est de même concernant la valeur énergétique du bourgeon : en médecine traditionnelle chinoise, on sait que plus un corps est réduit, condensé, ramassé sur lui-même, plus son énergie peut être grande : à un petit Yin correspond un grand Yang. Nous faisons la même constatation sur les bourgeons, comme d’ailleurs sur la graine ou le grain de pollen. Comment imaginer devant des graines de baobab ou de sequoia qu’elles produiront des arbres aussi gigantesques ! De ce raisonnement, nous concluons que le bourgeon est un concentré d’énergie capable, dans des circonstances particulières, de redistribuer cette énergie pour une activité thérapeutique conséquente.
La gemmothérapie moderne
C’est en Belgique que démarre vraiment la gemmothérapie (alors appelée “phytembryothéapie”), avec le docteur Pol Henry. L’étude scientifique qui a permis d’asseoir cette nouvelle branche de la phytothérapie porte sur l’étude du comportement des protéines sanguines humaines.
S’appuyant sur ses observations, le Dr Pol Henry pose tout d’abord l’hypothèse que le méristème, c’est-à-dire, pour faire simple, le bourgeon d’un arbre, contient toute l’information induisant le développement de cet arbre et ses différenciations (voir p. 17 pour une définition plus complète du méristème). La première expérience réalisée par le Dr Pol Henry, en 1970, porte sur un extrait de bourgeon de bouleau pubescent. Il fait alors le constat que ce macérat active les macrophages du foie et permet un drainage des cellules de Kupffer, celles-ci ayant stocké du carbone colloïdal, c’est-à-dire un toxique. Avançant dans sa recherche, il procède à l’étude des protéines du sang du patient et observe leur réaction lorsque celui-ci reçoit certains bourgeons.
La méthode employée, toujours en vigueur, est la suivante :
- Effectuer un prélèvement sanguin sur une personne malade.
- Procéder (par électrophorèse) à la séparation des globulines : albumines, alpha-1, alpha-2, beta- et gammaglobulines.
- Pratiquer une isofloculation de ces protéines en phase liquide. Pour cela, il procède à un ensemble de neuf tests de floculation, ceux-ci mesurant le potentiel réactionnel du malade.
On sait par exemple que l’augmentation des alpha-1 globulines chez un individu correspond à l’état inflammatoire d’un tissu. Différents essais ayant permis d’identifier les bourgeons les plus efficaces pour faire baisser ce taux élevé d’alpha-1 globuline, voire le ramener à la normale, on en déduit que ces bourgeons sont anti-inflammatoires, ce que confirme ultérieurement l’amélioration de l’état du malade, après traitement. Les chercheurs se sont ensuite aidés d’un programme informatique permettant, à partir d’un prélèvement sanguin et de tests de floculation, d’établir une ordonnance en gemmothérapie. Aujourd’hui, les médecins qui utilisent la gemmothérapie analysent les symptômes exposés par leurs malades et par recoupements, en déduisent le ou les bourgeons qu’ils vont conseiller.
Dr Claudine Luu