Cette nouvelle a remporté le 1er Prix du concours “Crayon, planète et grelinette” !
Bravo à Emmanuelle Simon.
Par une belle journée ensoleillée, les insectes d’un petit jardin s’activaient avec entrain.
Les abeilles butinaient, les syrphes et les coccinelles se régalaient de pucerons, les perce-oreilles s’en donnaient à coeur joie dans le tas de déchets végétaux, les vers de terre creusaient des galeries dans le potager qui voisinait avec un petit carré d’herbe entouré de bandes de fleurs.
Un groupe de coccinelles décida d’aller faire un bon repas sur le rosier qui se trouvait à la limite du terrain en bordure d’une haie. De l’autre côté de cette haie, il y avait un mur qui clôturait un autre jardin où les insectes du petit jardin n’allaient jamais car ceux qui s’y étaient aventurés n’étaient jamais revenus.
Le groupe de coccinelles s’installa sur les feuilles du rosier et commença à manger les pucerons qui se trouvaient là. La plus petite d’entre elles s’envola jusqu’au bas du rosier pour explorer le coin ombragé et trouver plus de nourriture. Elle était à peine arrivée qu’elle les vit.
Ils étaient là, au pied du rosier. Ils étaient nombreux et identiques aux insectes du petit jardin. Mais la petite coccinelle qui connaissait bien la communauté d’insectes avec qui elle vivait savait que ceux-là venaient d’ailleurs. Ils la regardaient et avaient l’air triste et fatigué.
La petite coccinelle s’approcha d’une abeille et lui demanda :
– D’où venez-vous ? Pourquoi êtes-vous là tous ensemble ?
– Nous venons tous du jardin d’à-côté. Nous sommes venus chez vous parce que la vie n’est plus possible là-bas.
– Pourquoi ? Qu’est-ce qui rend la vie impossible ? demanda la petite coccinelle étonnée.
– Nous t’expliquerons plus tard. Mais, pour le moment, nous cherchons un refuge. Peux-tu nous aider ?
La petite coccinelle les regarda tous. Les abeilles, les syrphes, les perce-oreilles, les vers de terre, les coccinelles… Oui, c’étaient les mêmes insectes que ceux qui vivaient dans le petit jardin.
– Bon, je vais voir ce que je peux faire. Viens avec moi. Tu nous expliqueras tout et nous prendrons une décision. Tes compagnons attendront notre retour ici.
Elles s’envolèrent toutes les deux vers le haut du rosier où le groupe continuait à s’activer.
Après de rapides explications, la petite coccinelle entraîna ses congénères et l’abeille du jardin d’à-côté vers un endroit où elle était sûre de trouver le plus sage de leur petite communauté d’insectes, un bel Argus bleu qui savait beaucoup de choses et était toujours de bons conseils. Le papillon mangeait tranquillement le nectar de giroflées.
La petite coccinelle s’approcha et lui raconta cette chose extraordinaire : tout un groupe d’insectes venant du jardin d’à-côté demandait un refuge chez eux.
Que faire ? Pouvait-on laisser vivre dans leur petit jardin des insectes qui venaient d’ailleurs ?
– Nous devons réunir la communauté et décider ensemble de ce qu’il faut faire, déclara le papillon.
La petite coccinelle retourna vers le groupe qui attendait avec l’abeille et leur dit :
– Le papillon réunit toute la communauté. Allez chercher tous les autres insectes.
Aussitôt, toutes les coccinelles s’envolèrent sauf la petite coccinelle qui guida l’abeille au lieu habituel de réunion.
En un rien de temps, tous les insectes du petit jardin étaient regroupés. La curiosité les avait tous poussé à abandonner leurs occupations. Le papillon se posa avec délicatesse sur un petit monticule de terre soulevé par une taupe et exposa à tous le problème qui se posait.
– Mais, pour mieux comprendre les choses, l’abeille d’à-côté va nous expliquer pourquoi ils ont fui leur jardin.
L’abeille, intimidée, était rouge comme une tomate. Elle se posa néanmoins à côté du papillon et prit la parole.
– Dans le jardin d’à-côté, la vie est devenue impossible car le Géant pulvérise sur ses plants et ses rosiers des produits qui tuent tous les pucerons. Il a mis des bâches en plastique partout où il pouvait et aucune mauvaise herbe ne pousse. Un drôle d’appareil tout plat tond la pelouse en permanence et aucune petite fleur ne pousse. Il n’y a pas de déchets végétaux, aucune feuille ne traîne nulle part et le Géant retourne la terre en profondeur, il la travaille trop souvent. Les produits qu’il pulvérise nous tuent les uns après les autres et ceux qui arrivent à survivre n’ont presque rien à manger. Notre jardin n’était pas comme ça avant, il était comme le vôtre. Mais un nouveau Géant est venu et il l’a rendu invivable pour nous les insectes.
Au fur et à mesure de ses explications, l’abeille s’était animée. Elle n’avait plus peur. Elle regarda toute la communauté qui la regardait aussi et conclut :
– Nous sommes un groupe de 40 réfugiés et nous vous demandons asile.
Un murmure parcourut l’assistance.
– Bien. Nous savons maintenant les raisons de votre présence dans notre jardin, dit le papillon.
Il se tourna vers l’abeille : « Va te poser là-bas sur ces oeillets d’Inde et attends notre décision. »
L’abeille voleta jusqu’à l’endroit indiqué.
– Bon, reprit le papillon, vous avez tous compris le problème. La question est simple : devons-nous ou non accueillir ces réfugiés ?
Un syrphe prit la parole :
– Nous les syrphes, nous craignons que notre jardin soit trop petit pour accueillir ces nouveaux arrivants. N’allons-nous pas être trop nombreux ?
– Oh ! nous, intervint un perce-oreille, nous n’avons pas peur du nombre. Nous sommes déjà si peu !
– Nous sommes d’accord avec les syrphes, dit une abeille. Si nous sommes trop nombreux, que va-t-il se passer ? Nous aurons peut-être moins de nourriture.
– Nous sommes d’accord avec les syrphes et les abeilles, dit un ver de terre. Nous, nous n’avons besoin de personne d’autre pour creuser nos galeries. Et puis, nous ne les connaissons pas. Ils veulent peut-être prendre notre place, nous déloger de chez nous !
– Mais nous ne pouvons quand même pas les laisser mourir, dit doucement la petite coccinelle.
Toute l’assistance se tut car personne ne trouvait plus rien à dire.
Le papillon reprit la parole :
– Je vous propose d’envoyer une délégation pour voir comment est ce jardin d’à-côté. Nous voterons ensuite pour ou contre l’accueil de ces réfugiés. Qui est volontaire ?
La petite coccinelle, une abeille, un perce-oreille et un ver de terre s’avancèrent.
– Bien. L’abeille d’à-côté va vous accompagner. Rejoignez-vous jusqu’au rosier où attendent les réfugiés. Vous irez ensuite dans ce fameux jardin mais attention, n’y restez pas longtemps, ça peut être dangereux. Vérifiez bien que le Géant ne s’y trouve pas avec ses produits mortels.
Nous vous attendons tous ici.
Aussitôt, la petite délégation se mit en route. La petite coccinelle et les abeilles étaient arrivées les premières au rosier. Les insectes d’à-côté attendaient avec anxiété. La petite coccinelle leur expliqua la mission de la délégation.
– Nous allons visiter votre jardin pour nous rendre compte par nous-mêmes de la situation.
– Vous voulez vérifier qu’on ne vous raconte pas des salades, s’exclama un syrphe. Vous n’allez pas être déçus du voyage !
Sur ces entrefaites, le perce-oreille et le ver de terre étaient arrivés.
– Toi, dit la petite coccinelle à l’abeille d’à-côté, attends ici avec tes compagnons.
Puis la délégation se regroupa à la limite du petit jardin. Les quatre insectes franchirent le mur, les uns en volant par-dessus, les autres se faufilant dans une petite fissure. Ils se retrouvèrent de l’autre côté du mur. Rien ne bougeait, rien ne bourdonnait et le Géant n’était pas là.
– Je vous propose de nous séparer, dit la petite coccinelle. Nous allons chacun de notre côté explorer ce jardin et nous nous retrouverons ici.
– D’accord, répondirent en choeur les autres insectes.
L’abeille s’envola à la recherche de fleurs à butiner. Elle chercha en vain du trèfle dans le gazon tondu sans cesse à ras mais elle ne vit que de la mousse. Elle trouva de jolies giroflées mais l’odeur qui s’en dégageait était répugnante. Elle sentit que, si elle restait à côté de ces fleurs, elle perdrait des forces et ne pourrait plus s’envoler. Elle partit à la recherche d’autres fleurs mais n’en trouva aucune qui ne fut pas aspergée d’insecticide.
Le perce-oreille chercha en vain des déchets végétaux. Il croisa la petite coccinelle qui s’était posée pour un instant de repos.
– N’as-tu pas vu un petit déchet quelque part ? lui demanda-t-il.
– Non, je n’en ai pas vu. Et je n’ai vu aucun puceron non plus, ni sur les rosiers, ni parmi les fraises qui sont grosses, rouges et entières comme si elles n’étaient mangées par aucun ravageur. Je trouve que ce jardin sent mauvais et il me donne mal à la tête.
– Je suis fatigué, grimaça le perce-oreille. Au moins, chez nous, on n’est pas obligé de chercher pendant des heures de quoi se nourrir !
– Continuons encore un peu notre exploration, lui proposa la petite coccinelle. Et puis, nous rentrerons.
Le ver de terre chercha des débris végétaux dans la terre du potager. Mais la bouillie bordelaise utilisée excessivement par le Géant lui donna vite la nausée et lui fit faire demi-tour.
Il ne trouva pas d’autres congénères et s’en trouva fort déprimé.
Quand les insectes de la délégation se rejoignirent, ils avaient tous l’air bien déconfit.
– C’est vraiment nul comme jardin, grommela le perce-oreille. Je n’ai rien trouvé à manger, je n’ai vu que des asticots sur les restes d’un hérisson.
– Aucun puceron, rien de rien, soupira la petite coccinelle. Tout est aseptisé.
– Il n’y a pas de vie dans ce jardin, c’est un enfer, dit gravement l’abeille.
– Rejoignons au plus vite notre communauté, dit le ver de terre pressé de retrouver sa bonne et saine terre.
Quand la délégation retrouva la communauté, le papillon demanda :
– Alors, c’est comment là-bas ?
– L’abeille d’à-côté n’a pas menti, répondit la petite coccinelle. Le jardin est inhabitable pour les insectes et toutes les autres espèces.
– Bon, reprit le papillon, nous allons procéder au vote. Mais avant, je voudrais vous donner mon avis sur la question. Bien sûr, nous vivons tous sereinement dans notre petit jardin. Bien sûr, nous avons tout à profusion grâce à notre Géant qui utilise une grelinette pour ne pas trop travailler la terre, qui fait du compost végétal, qui paille les plants du potager, qui laisse les fleurs pousser et n’utilise jamais de produits chimiques. Oui, nous sommes heureux. Mais est-il vraiment impossible de faire un peu de place à ces pauvres réfugiés ? Il me semble que les pucerons sont toujours présents en abondance, que la terre du jardin est assez vaste pour y creuser de nombreuses galeries et que les fleurs poussent à profusion. Nous sommes habitués à l’opulence mais je pense que nous pouvons partager notre petit jardin avec ces nouveaux venus et je ne vois pas pourquoi ils auraient forcément de mauvaises intentions à notre égard !
Laissons-leur une chance de s’acclimater à notre petite communauté. Allons ! Votons maintenant. Que ceux qui sont pour accueillir les réfugiés se mettent à ma gauche, que ceux qui sont contre à ma droite.
Les coccinelles furent les premières à voleter vers la gauche du papillon, suivi des perce-oreilles.
Après un petit moment d’hésitation, les abeilles et les syrphes les rejoignirent.
Les vers de terre tinrent un conciliabule pendant quelques instants puis finirent par rejoindre la gauche du papillon.
Quand tous les insectes se furent déplacés, l’Argus bleu donna, avec une satisfaction visible, les résultats du vote :
– Je n’ai personne à ma droite et toute la communauté est à ma gauche. Petite coccinelle, va vite annoncer la bonne nouvelle aux réfugiés.
Toute heureuse, la petite coccinelle voleta en un clin d’oeil jusqu’au groupe d’insectes qui attendait patiemment au pied du rosier.
– J’ai le grand plaisir de vous annoncer, leur dit-elle toute souriante, que nous vous accueillons tous dans notre petit jardin. Venez, suivez-moi. Je vais vous conduire à notre communauté.
Quelle joie se fut pour les réfugiés ! C’était enfin la fin de leur souffrance et de leur désespoir.
Quand tous les insectes furent réunis, le papillon fit une dernière déclaration :
– Nous avons la chance d’avoir un merveilleux jardin. Nous ne sommes jamais allés dans le jardin d’à-côté car nous savions qu’il n’était pas agréable à vivre. Mais nous ne nous souciions pas des insectes qui y vivaient. C’était un tort, nous aurions dû vous aider plutôt que de vivre en égoïstes. C’est pourquoi nous sommes heureux de vous accueillir chez nous et de partager avec vous toutes les richesses de notre cher petit jardin.
Sur ces mots, chacun reprit ses activités coutumières, les insectes réfugiés découvrant avec émerveillement le bonheur de vivre dans un endroit où la nature était respectée.
Le soleil se coucha à l’horizon, la nuit tomba doucement sur le petit jardin et ses habitants, petits êtres minuscules sur l’immense Terre, une planète unique dans le système solaire car elle abrite le bien le plus précieux et le plus rare : la Vie.
Emmanuelle Simon de l’Orne