Régulièrement, les voyageurs que je guide quittent l’Europe en avion deux à trois fois par an. Alors les questions fusent. Est-ce encore raisonnable ? Où mettre la jauge entre les bienfaits et les coûts environnementaux du tourisme, aussi positif et indispensable soit-il localement ?
Trois ans.
Selon le dernier rapport du GIEC, Groupe international des experts du climat, il nous reste 3 ans pour changer drastiquement nos modes de vie et garder notre planète telle que nous la connaissons.
Derrière ce constat glaçant, une question brulante : comment maintenir le réchauffement climatique sous le seuil des 1,5 °C ? Comment quitter cette dépendance aux énergies fossiles et à notre ennemi public n°1, le CO2, dont les émissions record mettent en péril la survie de nos écosystèmes ?
Comme beaucoup, je fais au mieux à titre individuel. Je me suis récemment prêté au jeu du site https://nosgestesclimat.fr/actions, qui propose de tester en 10 minutes une mesure de notre part dans ce réchauffement. Le point de départ ? Chaque année, un Français émet en moyenne à peu près 10 tonnes de CO₂ (ou autre gaz à effet de serre). Avec 8 tonnes par an, mes petits gestes du quotidien donnent un résultat encourageant mais les objectifs climatiques nous demandent de descendre à 2 tonnes de CO₂ par personne et par an : je suis loin du compte…
À l’heure du bilan, ma marge de progression est très claire : près de la moitié de mes émissions est liée au transport aérien de ma vie professionnelle. Salarié pour un tour-opérateur spécialisé dans le voyage d’observation et de photographie animalière, je crée et guide des itinéraires en Amérique et en Afrique. Depuis plus de dix ans, ce travail est une passion qui me permet de militer en faveur de la conservation de la faune sauvage.
ÉCOTOURISME VERTUEUX… ET EMPREINTE CARBONE
Grâce à cet écotourisme vertueux, j’ai rencontré d’anciens braconniers d’œufs de tortues devenus des guides engagés pour leur protection. Grâce à la valeur que les visiteurs donnent aux réserves protégées, j’ai vu des villageois s’investir dans la protection des gorilles de montagne, au lieu de déforester. Le Costa Rica s’est illustré à juste titre dans cette mise en valeur du patrimoine vivant. Dix fois moins vaste que la France métropolitaine, ce pays recense 161 parcs nationaux, des refuges de vie sauvage, des réserves protégées privées… la faune et la flore d’un tiers du pays sont ainsi protégées.
Dans les parcs nationaux d’Afrique de l’Est ou australe, le tourisme est souvent le dernier rempart contre le braconnage des grands mammifères. En Namibie, il est possible de soutenir des conservancies, des projets menés par les populations locales qui font le choix de cohabiter, malgré les difficultés, avec les lions et éléphants du désert dans des régions hors parcs. D’autres exemples peuvent illustrer ces nombreuses réussites dans la préservation de la biodiversité.
Avant la pandémie, je quittais la France deux à trois fois par an en avion pour guider des groupes de six personnes dans le bush ou la forêt pluviale. Régulièrement, nos voyageurs se déplacent autant que moi. Alors les questions fusent. Est-ce encore raisonnable ? Où mettre la jauge entre les bienfaits et les coûts environnementaux du tourisme, aussi positif et indispensable soit-il localement ? Que restera-t-il de ces écosystèmes dans un monde à +2 ou +3 °C ? Que retenir du stop imposé par le Covid, synonyme aussi d’une pause salutaire dans le dérèglement climatique ?
2 À 3 TONNES DE CO2 POUR UN ALLER-RETOUR
Le transport aérien représente 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, bien en dessous du digital ou de l’alimentation par exemple. À titre individuel, pourtant, la perception change. J’ai calculé que chaque aller-retour pour l’Équateur ou le Botswana émettait 2 à 3 tonnes de CO₂ : soit mon crédit carbone pour l’année !
Chaque jour davantage, le poids du carbone pèse sur ma conscience. Les programmes de compensation diffusés à foison peinent à me convaincre : il ne suffit pas de reforester, il faut stopper le mal à la source. Voyager (beaucoup) moins, (beaucoup) mieux… et probablement (beaucoup) plus longtemps pour que chaque déplacement marque durablement notre quotidien. Je n’oublie pas que le voyage long courrier a été pour moi la plus belle école mais, pour ma part, il est grand temps de lever le pied, de faire passer ce nouveau message, même si je prêche contre ma paroisse : le voyage en avion doit rester une expérience forte, rare et doit s’inscrire sérieusement dans le large panel que nous avons à notre disposition pour faire baisser notre empreinte carbonée.
Sylvain Lefebvre est biologiste de formation, auteur, photographe et cinéaste animalier autodidacte. Passionné de faune sauvage, il anime des voyages naturalistes dans un parc naturel et intervient comme médiateur scientifique dans les écoles. Il est l’auteur de Safari au jardin – La biodiversité à portée de main, paru aux éditions Terre vivante.
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