Dans la famille des “fèvres”, on ne connaît plus que les orfèvres. Mais il existait aussi le “fèvre” ferronnier, le “fèvre” dinandier et le “fèvre” taillandier” : celui qui fabrique des outils tranchants, qu’ils soient destinés au forgeron, au tailleur de pierre, au charpentier ou… au jardinier. Un univers que l’on croyait presque éteint, étouffé par la mondialisation et le “made in China”. Mais qui malgré tout reste vivace. Depuis le forgeron solitaire à la PME d’une centaine de salariés, il existe encore en France un tissu d’artisans qui savent fabriquer vos outils. Avec un savoir-faire qu’ils ont souvent hérité de dynasties familiales, comme Hervé Le Gal, fabricant de grelinettes en Bretagne, héritier d’un père, grand-père, arrière-grand-père et d’autres avant, forgerons et maréchaux-ferrands. Dans vingt ans, en restera-t-il encore, de ces forgerons ? Les PME parlent du désamour pour le métier. À l’heure du virtuel et après des décennies de dévalorisation du travail manuel, il ne se forme qu’une quinzaine de BTS forge par an, tous embauchés dès la sortie. Pas facile de recruter un jeune au fin fond d’une vallée savoyarde !
L’INTELLIGENCE DE LA MAIN
Mais il y a de l’espoir. Les stages de fabrication d’outils de l’Atelier paysan attirent du monde. Depuis début 2020, plus de 20 jeunes ont appelé Jean-Luc Bonaventure, taillandier dans le Tarn, pour faire un stage. Problème ? Son atelier ne peut être mis aux normes exigées pour la formation car elles imposent un carénage autour du marteau-pilon. Or en taillanderie, il faut pouvoir tourner autour du pilon pour fabriquer l’outil… Quand la sempiternelle exigence de sécurité exclut toute transmission de savoir-faire ! D’autant qu’il n’existe pas d’école de taillanderie ou de coutellerie. Seules options : faire des stages payants qu’il faut arriver à financer, ou passer par le compagnonnage, formateur mais exigeant.
Aurait-on oublié à quel point la capacité de faire avec ses mains est fondamentale ? Le résultat, selon Pierre Avril, agriculteur et concepteur d’outils, c’est que les nombreux jeunes qui s’installent comme maraîchers n’ont aucune compétence technique en mécanique ou en bricolage, indispensables au métier. Philippe Meirieu, le grand chercheur en sciences de l’éducation, le disait lors d’une table ronde sur la reconnexion des enfants à la nature co-organisée par Terre vivante en septembre. « Tout enfant devrait sortir du CM2 en sachant fabriquer un tabouret à trois pieds. Parce que l’intelligence de la main, c’est l’une des formes essentielles de l’intelligence humaine. »
Marie Arnould
Crédit photo : J.-J. Raynal