Banc d’essai : terreaux, avec ou sans tourbe ?

Depuis le temps que les naturalistes dénoncent l’exploitation industrielle des tourbières, notamment pour la production de terreaux, les choses ont-elles changé ? De nombreux pays européens –dont la France– préservent mieux leurs tourbières mais continuent à importer de la tourbe du Canada ou des Pays baltes. Les terreaux contenaient encore il y a quelques années entre 60 et 80 % de tourbe (blonde, brune et noire, en proportions diverses). Mais mettre au point de bons terreaux ne s’improvise pas et il n’est pas facile d’obtenir avec d’autres matériaux les qualités qu’apporte la tourbe : une texture fibreuse et souple qui facilite l’enracinement, l’aération et le drainage, une bonne tenue pour transplanter ou rempoter et une excellente capacité de rétention d’eau.

La levée des semis a été très différente en fonction des différents terreaux.  
JJ. Raynal |

Les fabricants de terreaux s’emploient depuis des années à trouver des substituts à la tourbe : écorces ou fibres de bois plus ou moins travaillées ou compostées, fibre de coco (importée d’Afrique ou d’Asie…), composts de déchets verts plus ou moins fibreux… Les premiers terreaux sans tourbe du marché n’ont guère convaincu, les fibres de substitution issues de l’exploitation forestière étaient souvent trop grossières et les formulations ne permettaient pas de corriger leurs inconvénients. Du coup, ils sont restés difficiles à trouver pendant des années. Mais les fabricants ont multiplié les essais, amélioré la qualité des fibres de substitution ainsi que les formulations. Les références totalement dépourvues de tourbe sont encore assez peu nombreuses, mais pour beaucoup d’autres, la tourbe n’est plus l’ingrédient principal. Ce n’est pas encore l’idéal, mais cette fois, la réduction de l’utilisation de la tourbe dans les terreaux tend à se généraliser et c’est une bonne nouvelle pour les tourbières.

Modalités du banc d’essai

Pour ce banc d’essai, nous avons choisi de comparer, avec une production de plants de courgettes, cinq terreaux sans tourbe avec cinq autres où la teneur en tourbe a été plus ou moins réduite. Leader du terreau en France, La Florentaise l’est aussi dans le développement de matières premières renouvelables et proches de ses sites de production. Elle a ainsi mis au point, après de nombreux essais, deux procédés brevetés de défibrage de déchets scieries locales. Le premier, Hortifibre, est obtenu à partir de plaquettes de résineux certifiés PEFC par extrusion à 120 °C, ce qui donne une fibre très aérée et hygiénisée, substitut partiel à la tourbe. Le second, Turbofibre, provient d’écorces de résineux avec lavage préalable et défibrage spécifique, pour un résultat proche des caractéristiques de la tourbe blonde et pouvant se substituer à elle. Plus prudent, Klasmann, géant mondial du secteur, vient de créer sa propre marque de fibre de bois (GreenFibre) qu’il utilise désormais à raison de 15% dans ses terreaux utilisables en bio pour professionnels. Quant à la marque OrBrun, également représentée dans ce banc d’essai, elle privilégie pour le moment la fibre de coco importée mais utilise aussi de la fibre de bois et des écorces compostées.

Les plans ont été démarrés fin avril, sous serre chauffée. Trente-cinq jours plus tard, les différences en fonction des terreaux sont impressionnantes.
JJ. Raynal |

Des recherches autour des substituts à la tourbe

Les efforts des fabricants visent à se rapprocher des performances de la tourbe, mais, comme le montre notre essai, les résultats des terreaux totalement sans tourbe ne sont pas encore au niveau de ceux qui en contiennent. D’où l’intérêt des fabricants pour de nouveaux composants susceptibles de les améliorer ou de se différencier des concurrents. Outre les engrais organiques, fumiers compostés et autres composts de déchets verts qui apportent des éléments nutritifs et des fibres en voie d’humification, on trouve des algues, de la terre végétale, de l’argile, de la dolomie, ou des produits plus innovants comme du biochar (Greenchar chez la Florentine), des mycorhizes pour faciliter l’absorption racinaire, ou diverses préparations microbiennes censées avoir une action stimulante ou protectrice (Bacillus et levures chez Or Brun, Trichoderma chez La Florentaise…). Au vu des résultats de nos essais, l’efficacité de ces nouveaux constituants dans un terreau ne semble pas être décisive (sauf peut-être pour Trichoder, les plants de courgette ont l’air d’apprécier)…

Les résultats du banc d’essai

Les courgettes ont été semées le 26 avril, à raison de 12 godets par référence et notées sur la beauté des plants à trois et cinq semaines, en tenant compte du nombre de plants non levés. Nous les avons gardées une semaine de plus, mais cela n’a guère modifié le classement. Les différences sont assez marquées et, malheureusement, les terreaux sans tourbe ne sont pas très bien classés. Néanmoins, certains fabricants ont beaucoup progressé sur la qualité des fibres de remplacement et leurs terreaux, où la tourbe est devenue minoritaire, obtiennent des résultats aussi bons que les meilleurs terreaux à base de tourbe. Des résultats encourageants.

En fonction de leur composition, les terreaux ont des textures assez différentes.
JJ. Raynal |

Le détail des résultats

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Un puits de carbone à préserver

La tourbe est une matière organique fossile formée par l’accumulation de débris végétaux dans un milieu saturé d’eau durant des milliers d’années. Elle est massivement utilisée (40 millions de mètres cubes par an), notamment en horticulture, pour la production de plants. On utilise trois sortes de tourbes: la tourbe blonde, qui provient de la transformation des sphinges, sortes de mousses, à structure légère et fibreuse avec une très grande capacité de rétention d’eau et un pH un peu acide; la tourbe brune, moins riche en fibres, mais avec plus d’éléments fins issus d’une dégradation plus poussée de végétaux ligneux, de même que la tourbe noire, encore moins fibreuse et plus riche en minéraux. L’exploitation des tourbières met en péril ces écosystèmes humides et leur riche biodiversité. Mais elle détruit surtout une ressource non-renouvelable à l’échelle humaine (il faut un siècle pour obtenir 5 cm de tourbe) et libère d’énormes quantités de carbone car les tourbières, qui ne couvrent que 3 % des terres émergées, stockent entre 20 et 30 % du carbone des sols mondiaux.

Antoine Bosse-Platière